Vosges matin, 16/11/2017
Silhouette frêle esseulée confrontée au froid, un jeune Nigérian avait posé ses valises quai des Bons-Enfants à Épinal depuis plusieurs semaines. Dormant à-même le sol, il refusait toute aide. La solidarité des riverains a fini par payer.
Ceux qui empruntent le quai des Bons-Enfants à Épinal l’ont remarqué. Emmitouflé dans son vieil anorak sombre, chaussures élimées aux pieds, il traîne son regard vide sur un horizon à hauteur de canal, assis sur un vieux sac de voyage depuis quelques semaines. À quelques mètres des bureaux de Vosges Matin, entre des poubelles et un institut de beauté. Il ne bouge pas de la journée. Le midi, ce jeune Nigérian grignote un sandwich ou des aliments glissés dans un sac, achetés bien souvent à la boulangerie voisine par des passants. Et le soir, quand vient la nuit, il s’enroule dans des couvertures pour dormir par terre, caché derrière le conteneur à ordures. Tel un mort dans son linceul.
Pieds gonflés
Dans le secteur, plusieurs passants l’ont questionné. D’où vient-il ? A-t-il besoin d’aide ? A-t-il faim ? A-t-il un toit ? Une famille ? A-t-il peur ? Est-il sans papiers ? En détresse ? Il dit venir du Nigeria et ne pas vouloir bouger… Il serait arrivé par l’Italie, en étant passé par la Libye. Là où beaucoup de ses compatriotes ont subi des sévices de la part de passeurs sans scrupule qui les vendent comme esclaves. A-t-il lui-même subi des violences ? Il ne veut surtout pas en parler. Et la terreur l’envahit quand on aborde le sujet.
Certains riverains insistent. Passent et repassent. Lui posent des questions et alertent les services sociaux qui proposent leur aide. Des associations se cassent aussi les dents sur son refus catégorique de tout soutien. Même scénario avec les élus qui se sont déplacés.
Ces derniers jours, avec l’arrivée du froid, beaucoup craignaient pour sa santé. Allait-il accepter enfin un peu de réconfort ? Certains ont pu remarquer un bonnet bien enfoncé sur sa tête et des bottes de neige offerts par des voisines. Mais ce mardi soir, ses pieds ont gonflé et il a montré des signes de faiblesse. Le froid l’a rattrapé dans cette errance mystérieuse qui ne dit pas son nom. Après plusieurs heures de discussion, ces mêmes voisines, aidées de Karim Delmi de l’association EST Solidarité, l’ont poussé dans une voiture. Direction : les urgences de l’hôpital d’Épinal. Après moult discussions, effrayé, il préfère regagner son refuge de bitume. C’est là qu’au milieu de la nuit, ses sauveteurs décident finalement d’appeler les pompiers.
Aux urgences
À 5 h du matin, Amaechi est enfin pris en charge. Médicalement. Le qualificatif « sans papiers » est noté sur son dossier. Ce mercredi matin, le quai des Bons-Enfants se réveille tranquillement. Amaechi dort encore au chaud, dans un vrai lit. Chez ces mêmes voisines bienveillantes. Après des soins et une bonne douche. À 28 ans, l’homme a cette fois, un autre parcours à affronter. Celui des arcanes de l’administration française pour régulariser sa situation. Il est rentré illégalement sur le sol français en juin 2015 et a demandé l’asile politique en 2016. Sans aide et livré à lui-même, il n’a pu exercer son droit de recours. Depuis début octobre, il était donc expulsable. Et risque d’être renvoyé dans son pays où sévit Boko Haram…
Sabine LESUR